La neige a craqué. Et dans les rafales, la question a refait surface : le luxe !
– « Qu’est-ce que le luxe » ? , avait enjoint un écrivain sur mon fil Insta ?
Quelle est la première image qui vient à l’esprit avec ce mot ?
… probablement un objet ; ou plusieurs.
… ce qui les rattache au « Luxe » tient sûrement davantage à leur valeur.
Souvent chers, c’est le prix de ces objets qui en définissent la valeur;
Ce doit être le prix du luxe !
Lorsque il parle de la valeur du luxe, l’écrivain Sylvain Tesson est bien loin de parler, ou d’un prix, ou d’un objet.
– « le luxe, c’est la chaleur d’un fourneau quand tu as passé toute la journée au froid sous la pluie. C’est un verre d’eau fraîche quand tu meurs de soif « .
Plutôt que de l’inextinguible satisfaction de la possession, il paraît nous parler d’une extase de la retrouvaille.
Qu’est-ce alors que le luxe ? de quelle retrouvaille s’agit-il ?
***
Ce jour dernier, le vent m’aveuglait de flocons. Il me fallait décider où guider mes skis sur la couche poudreuse et soufflée. À droite vers la cabane connue et son réconfort chocolaté ? À gauche, plus haut plus profond dans le blizzard ? Et revenir par derrière à la tsigère chauffée…
La randonnée était à peine commencée et le réconfort pas encore tout à fait « mérité » ; le luxe de Tesson n’avait pas encore assez gonflé. Fallait-il que je souffre un peu plus ? assez pour mériter ? Tesson faisait-il l’apologie du mérite judéo-chrétien ?
Probablement pas. Avais-je envie d’entrer dans le jeu de ce chantage ? Certainement pas.
Dans le froid, la question s’est faite plus vive, plus nue : qu’alors fait naître le luxe décrit par Tesson ? que le fait-il grandir ?
Ma réponse de l’instant fut aussi cinglante que le sifflement des bourrasques : le retour dans la zone de confort !

Sortir de sa zone de confort, n’est-ce pas ce que redoutent, en cœur, le corps et l’esprit ? Il me semble que l’Humain, en particulier dans notre confortable Occident, s’efforce de préserver tant que faire se peut sa zone de confort, et à y persister. Repoussant toute menace sur celle-ci, se méfiant bien souvent de toute invitation qui le mènerait vers l’inconnu, Homo Sapiens renâcle à se frotter aux défis, à ce qui est nouveau. Inquiet de ne pas réussir, il refuse le voyage dans la zone d’insécurité, pourtant aussi, zone d’apprentissage. Il préfère s’encroûter que de prendre le risque d’expérimenter. Il renonce à se défier, à traverser l’inconnu, la vulnérabilité, la passagère incompétence, la vierge expérience.
Pour finalement, certes, revenir à sa zone de confort. Et en goûter plus intensément la qualité et l’existence.
N’admire-t-on pas d’avantage son logement lorsqu’on en sort pour la voir du dehors ? N’apprécie-t-on pas davantage un verre d’eau quand on a soif ; la chaleur sèche d’un fourneau quand on a passé la journée sous la pluie ?
***
Jouir de ce luxe simple, né du voyage hors de sa zone de confort.
C’est ce qui motive de prendre à gauche, de poursuivre l’effort dans le blizzard, de contourner la crête, là-bas, seul et livré à soi- même, avant de revenir à la cabane.
***
Assis devant mon chocolat chaud, un index un peu gelé qui brûle, le souffle encore un peu agité des mauvaises surprises de la descente, je découvre que ce luxe-là repose sur un bienfait bien plus grand que celui de la possession de l’objet rare et trop
cher. Ce n’est pas tout à fait le retour dans ma zone de confort qui est le luxe; c’est ce que ce retour me permet de voir de moi-même : me voir revenu au point de départ, certes, mais un peu différent, augmenter de ce que j’ai vécu, et appris ; de ce que je n’ai pas su et donc appris.
Le luxe, c’est à la fois l’extase de retrouver sa zone de confort, et
la félicité de se retrouver, un peu plus soi ; en se connaissant un
peu mieux, en se reconnaissant capable d’oser et heureux d’être de retour à soi.
St-Luc, 26.03.2023
